GAËLLE BOUCAND

MEXIAN

HD I 62min I 2013
Production red shoes / SOME SHOES - Olga Rozenblum I Diffusion Elinka Films

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SYNOPSIS

EN — In a flat at night, six friends are playing ‘Mexian’, a mysterious game based on bluffing. One by one, their scores shape their roles behind closed doors.

FR — Le soir dans un appartement, six amis jouent au Mexian, un mystérieux jeu de dés basé sur le bluff. Tour à tour, leurs scores respectifs déterminent les rôles au sein du huis clos.

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With
SIGRID BOUAZIZ, ALEXIS FURIC
ERIC, JB, AGATHE & LUDO

Photography
VICTOR ZÉBO

Sound
FRANÇOIS BAILLY

Editing
MAUD RAMIER & GAËLLE BOUCAND

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UN PEUPLE EN PETIT

"Si Mexian se place d’emblée sous l’égide de William Shakespeare et s’ouvre par une citation de ce dernier, c’est à un autre poète que ce film tourné dans un appartement berlinois peut également nous faire penser : à l’écrivain allemand Novalis, qui disait « Un homme parfait est un peuple en petit ».
Dans l’espace resserré de l’appartement, les rôles se distribuent au gré d’un jeu de dés dont les règles, sans être tout à fait opaques, ne semblent avoir pour première raison d’être que de donner à chacun des personnages la ligne directrice (on pourrait aussi bien dire, du point de vue du spectateur : un indice de lecture) de l’attitude qu’il va adopter, le temps du tournage, au sein de la petite communauté réunie pour l’occasion. Chaque individu devient ainsi porteur d’un rôle non pas de composition mais composé : dépendant à la fois du jeu, de ses règles intrinsèques, mais aussi du dispositif filmique et de sa personnalité propre.
En mettant en scène ce dîner entre six amis et le prétexte ludique qui l’accompagne, Gaëlle Boucand interroge la notion de jeu dans toute sa polysémie : il y a bien sûr ces dés qui circulent de main en main, comme un témoin que se passeraient des relayeurs. Celui qui les reçoit va, à chaque fois, être le centre du chapitre à venir, le personnage sur lequel le récit se concentre, que ce soit en le suivant, en appuyant sa présence à l’image, ou au contraire en s’en éloignant, en le contournant, en le convoquant par l’absence. C’est lui (ce personnage) qui va insuffler à cette partie du film sa vitesse propre, instaurer son rapport singulier aux autres également. C’est sa position dans le jeu qui va être ainsi questionnée en acte et dépliée. Mais, contrairement à ce qui a lieu dans une course où le passeur s’arrête et regarde son successeur poursuivre sans lui, chacun continue ici de prendre part au jeu : les rôles continuent de s’échanger, de varier, de s’affiner, de changer d’angle. Chaque coup de dés les relance sans les annuler.
Il y aussi le jeu au sens cinématographique ou, du moins, pour s’en référer à la citation liminaire de Shakespeare, au sens théâtral (le cinéma en étant ici le prolongement par d’autres moyens) : celui qui engage le rôle que jouent les personnages, le jeu de l’« acteur ». C’est le rôle de chacun à l’intérieur du dispositif filmique dont il est avant tout question, et Mexian met en abîme les attitudes des joueurs en faisant irradier leurs effets dans le récit même : celle qui se prend à son propre jeu, celui qui ne joue pas le jeu, celle qui joue son propre rôle, celui qui orchestre le jeu… Les titres de chacun des chapitres désignent autant de positions (au sens stratégique comme spatial du terme) que revêtent les acteurs-joueurs non seulement entre eux, dans leurs interactions, mais encore dans le jeu qui se tisse avec la caméra. Le film paraît poser la question : qu’est-ce qu’un rôle ? Quelle est la part d’élection et d’aléatoire dans son attribution ? Et surtout : quelle est l’incidence de cette attribution sur l’ordre du récit ? Si l’idée de « rôle » est ici à prendre au sens le plus commun s’agissant d’une œuvre cinématographique – c’est bien le statut de la personne filmée qui est mis en perspective –, elle montre aussi l’étroite corrélation entre le masque, pour reprendre un motif récurrent du film, ou encore le bluff, comme l’illustre – là aussi en abyme – le jeu de dès et ses règles « perverses » (comme dit l’un des personnages au début du film, montrant d’emblée que la règle n’exclut pas la torsion, voire que la règle est toujours déjà distorsion), l’individu qui porte ce masque (et qui s’expose au regard, à la caméra), et les règles disposées dans un espace social donné – le film figurant précisément cet espace. Gaëlle Boucand touche ici, discrètement, à l’une des fonctions vitales, pourrait-on dire, du cinéma : la fabrique d’une communauté. Le film fait communauté. Non tant parce qu’il représente un groupe que parce qu’il suscite et répartit, à l’intérieur et de l’intérieur, un ensemble de liens. La dimension politique de Mexian réside dans cet aller-retour ambigu et réversible entre la part de joué et la part de capté (de saisi sur le vif), la part de fiction écrite et d’improvisation brute, la part de règle et la part d’accident. Parce que c’est ainsi que la communauté s’invente. Le jeu dès lors n’est plus une métaphore, c’est un catalyseur, une condition et un agencement.
Car il y a enfin le jeu social, c’est-à-dire le rôle que chacun endosse dans une société. Mexian explore et se joue (à son tour) des codes et des positions, des affects et des corps, de la place que les individus prennent, empruntent ou refusent dans une organisation collective. Le film bluffe en quelque sorte, puisqu’il est à la fois scénarisé et impromptu, concerté et libre. Mais c’est précisément afin que la mise en scène puisse être rendue tangible et, par conséquent, afin de faire saillir le jeu (au triple sens que nous évoquons) qui s’inscrit dans tout groupe humain et qui fédère celui-ci. De même que chez Shakespeare le monde est un théâtre et réciproquement, la société (c’est bien connu) est une scène ; c’est aussi, comme l’a démontré Roger Caillois (Les Jeux et les hommes), un plateau où les hommes jouent sans cesse. Mexian dessine ainsi une société en condensé, un peuple en petit." Mathieu Larnaudie

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